LA DIGNITE HUMAINE DANS NOS PRISONS
Depuis près de dix ans, nous observons le système pénitentiaire camerounais : il ressemble à une énorme machine à broyer les individus. Or, les missions de la prison sont claires : elle vise notamment à punir le délinquant, à protéger la société en même temps qu’elle est appelée à aider à la réinsertion du détenu.
Déprimés par l’inactivité et par un sentiment d’inutilité, victimes par ailleurs de la promiscuité avec d’autres délinquants, la plupart des détenus ressentent encore plus leur exclusion de la société. Une humanisation raisonnée des prisons serait sans doute la meilleure et la plus économique des solutions, évitant ainsi un paradoxe au système carcéral qui a tendance à se transformer lui-même en une école de délinquance.
Celle-ci passe par une amélioration des conditions de vie et davantage, par la capacité des administrateurs des prisons à faire preuve de tact, pour ne pas tomber dans une rigueur morbide ou donner dans un laxisme que l’on assimilerait à de la complaisance. Il s’agit donc de trouver le juste milieu, sans verser dans l’une ou l’autre des extrémités.
Pour nous, seule doit prévaloir la dignité des personnes incarcérées. Et l’attention doit être la même pour tous les détenus car, il faut souligner pour mieux le dénoncer, nos prisons en particulier celles dans lesquelles se déploie notre action, sont le reflet de la société camerounaise. Plus l’on est riche, et mieux l’on supporte son séjour. Plus l’on est important, plus on est l’objet d’attention : "les prisonniers de luxe" (les grands dignitaires du régime emprisonnés pour détournement de fonds publics, mais dit-on aussi pour des raisons politiques) des prisons de Yaoundé et de Douala en sont les illustrations vivantes.
C’est une lapalissade que de dire que le premier problème des prisons camerounaises est la surpopulation carcérale. Les maisons d’arrêt hébergent le double, voire parfois le triple, de leur capacité. Ainsi, au lieu des 800 places prévues au pénitencier de Kondengui à Yaoundé, 4500 âmes y vivent dans un désordre infernal (voir l’image de la page 3 du quartier dit « Kosovo »). Et pour la plupart, les locataires de cette prison n’ont parfois pas le privilège de dormir sur un lit, de bénéficier d’un repas, ou simplement d’avoir accès à l’eau potable pour, ne serait-ce que prendre un bain sans crainte de développer des maladies cutanées, diarrhéiques… Autant de frustrations qui sont à l’origine des tensions fréquentes dans nos pénitenciers, et que seule une gestion humaine pourrait résoudre. Ne dit-on pas que de la frustration naît l’agressivité ?
Comment faire pour instaurer la dignité humaine dans nos prisons ? C’est là un vrai défi qui n’est malheureusement pas partagé par les autorités en charge de nos prisons. La situation est catastrophique sur l’ensemble du pays qui compte environ 77 prisons pour un nombre de détenus évalué à 24000 individus.
Pierre EONE